Livre blanc d’AvantAge: interview de Laurent Wehrli
29 septembre 2025
« Ignorer les compétences des seniors, c’est hypothéquer notre capacité à lier expérience et innovation pour assurer une croissance pérenne. »
À la veille de la publication du livre blanc du programme AvantAge « Les seniors en entreprise : plus que jamais indispensables ! », Laurent Wehrli revient sur la genèse de cette initiative en tant que conseiller national et président de Pro Senectute Vaud, qui héberge ce programme pour la Suisse romande. Il y souligne le rôle essentiel des seniors face aux défis du monde du travail — loin des clichés.
Laurent Wehrli, pourquoi publier un livre blanc sur le rôle des seniors en entreprise ?
Cet ouvrage s’inscrit dans une démarche de fond portée par le programme AvantAge de Pro Senectute, qui trouve ses racines dans plus de cent ans d’expérience dans l’accompagnement des personnes âgées. Nos équipes ont entendu et entendent encore trop souvent une même phrase : « Si j’avais su, j’aurais fait autrement. ». Ce constat a fait émerger une conviction : il faut anticiper. C’est précisément pour répondre à ce besoin que le programme AvantAge a été créé : accompagner les seniors en entreprise et dans la préparation à la retraite.
Le livre blanc prolonge cette mission et s’appuie sur les résultats de l’enquête MIS Trend menée en 2024 auprès de 433 entreprises romandes, révélant que la majorité d’entre elles, notamment les PME, ne sont pas préparées aux départs massifs des baby-boomers. Son objectif est clair : sensibiliser les employeurs à l’importance de maintenir les seniors en emploi pour renforcer la continuité, la compétitivité et la résilience des organisations sur un marché du travail en mutation.
Comment expliquez-vous le manque d’anticipation des entreprises ?
Par la combinaison de contraintes concrètes et d’une sous-estimation des enjeux liés à l’âge. Les PME, souvent sans service RH structuré, sont en effet absorbées par la gestion opérationnelle. Elles manquent de temps, de moyens et parfois de méthodes pour anticiper à long terme. Même si la transition démographique est bien connue, elle reste abstraite : ses effets sont progressifs, donc faciles à repousser. Enfin, beaucoup ont pris du temps à percevoir les départs à la retraite comme un risque stratégique, alors que ces départs le sont clairement en termes de perte de compétences et de fragilisation de la pérennité de l’activité. Heureusement, l’image des seniors s’améliore et les entreprises sont de plus en plus conscientes de la nécessité de les intégrer à leur stratégie RH.
En quoi les seniors sont-ils aujourd’hui plus indispensables que jamais ?
Avec le départ massif des baby-boomers, suivis de près par la génération X, et la croissance modérée de la population active, les entreprises font face à une pénurie croissante de talents qualifiés. Les seniors apportent leurs expertises, leurs savoir-faire et leurs capacités à former la nouvelle génération. Ils garantissent la continuité des projets, évitent les ruptures de compétences et soutiennent la productivité. Les ignorer aujourd’hui, c’est hypothéquer notre capacité à lier expérience et innovation pour assurer une croissance pérenne.
Certaines entreprises hésitent encore à recruter des collaboratrices ou collaborateurs de plus de 55 ans. Quels freins doivent-elles dépasser ?
Les réticences à l’égard des seniors reposent encore trop souvent sur des stéréotypes. Pourtant, selon l’enquête MIS Trend 2024, la majorité des entreprises sondées reconnaît qu’ils ne sont ni moins productifs (79 %), ni moins créatifs (73 %), ni plus rigides (67 %) ou conflictuels (82 %) que leurs collègues plus jeunes. Seules deux réserves subsistent : leur rapport aux nouvelles technologies (seuls 37 % les jugent à l’aise) et leur coût (47 % ne le considèrent pas comme un frein). Mais ces perceptions ne doivent pas occulter leurs nombreux atouts : expérience, engagement, fiabilité et sens du collectif. Miser sur ces profils n’a donc rien d’un geste symbolique : c’est un choix stratégique. Les entreprises qui l’ont compris ont une vraie longueur d’avance.
Quel est l’apport concret du programme AvantAge pour faire face à ces défis ?
AvantAge répond aux enjeux du vieillissement professionnel en combinant deux axes complémentaires : l’accompagnement des seniors en entreprise et la préparation à la retraite. Depuis plus de 25 ans, il propose aux actifs dès 45 ans des formations et coachings, qui abordent aussi bien les aspects financiers, psychologiques, sociaux que professionnels.
En parallèle, AvantAge soutient les entreprises dans la valorisation de leurs seniors. Un exemple marquant : une grande banque suisse a mis en place, avec notre soutien, un dispositif permettant aux salarié·e·s dès 50 ans de réaliser un bilan individualisé débouchant sur un plan d’action personnalisé, co-construit avec l’employeur.
N’est-ce pas aux politiques publiques de prendre cette thématique à bras le corps ?
C’est peut-être là un paradoxe dont l’Helvétie a le secret : la responsabilité collective face au vieillissement de la population repose presque davantage sur les individus et les entreprises que sur l’Etat. Certains y verront un renoncement du politique, nous considérons au contraire que c’est plutôt une chance qui est offerte à la Suisse de créer une forme de nouveau contrat social intergénérationnel réellement profitable et durable. Avec des entreprises simplement en phase avec leur temps.
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